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L’esprit ensorcelé. Les racines cognitives de la sorcellerie

Macha
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L’esprit ensorcelé. Les racines cognitives de la sorcellerie Empty L’esprit ensorcelé. Les racines cognitives de la sorcellerie

Message par Macha Mar 25 Oct - 22:52

L’esprit ensorcelé.
Les racines cognitives de la sorcellerie

RÉSUMÉ

La sorcellerie peut être définie comme la croyance selon laquelle le malheur inexpliqué est dû à l’intention maléfique d’individus dotés de pouvoirs surnaturels. Si des croyances de ce type existent aux quatre coins du monde, peu de travaux ont tenté de rendre compte de cette très large diffusion, qui semble dépendre de certaines constantes de l’esprit humain. L’objectif de cet essai consiste à puiser dans le corpus de plus en plus riche des sciences cognitives afin de mettre en évidence les mécanismes psychologiques qui assurent à la sorcellerie son « succès » culturel. Les « penchants » de l’esprit qui sont discutés concernent l’appréhension du déroulement normal des événements naturels, la détection des actions intentionnelles et les mécanismes sous-tendant la régulation de la coopération. La combinaison de ces attentes spontanées explique pourquoi la sorcellerie est souvent à même de jouer un rôle d’« attracteur représentationnel ».


TABLE DES MATIERES

- Introduction
- La sorcellerie : une définition unique ?
- La sorcellerie : les explications
- De la normalité du malheur
- Les intentions malfaisantes
- L’enfer, c’est les autres…
- Sorcellerie et séduction cognitive
- Conclusion : le sorcier absent

Introduction

Griffon, le sorcier au corbeau, engage une lutte à mort contre un sort jeté sur son client : il demande à la femme de son client de cuire un cœur de bœuf et d’y planter le plus d’épingles possible. La scène se déroule en Normandie, durant le dernier tiers du xxe siècle (Favret-Saada 1977). Sous le soleil brûlant de l’Arizona, un Navajo dissimule soigneusement ses excréments : ceux-ci pourraient permettre à un sorcier mal intentionné d’opérer une attaque foudroyante à son égard (Kluckhohn 1944). Pour contrer les attaques de ses adversaires, Din, guérisseur camerounais reconnu, a planté dans son jardin un njum bele. Cet arbrisseau est le plus efficace contre les attaques des sorciers ; dans la forêt, cet arbre fait en effet le vide autour de lui (Rosny 1981).

Ces exemples, bien qu’issus de cultures fort différentes, présentent des similarités pour le moins troublantes. Dans chacun de ces cas, les comportements décrits renvoient à la croyance selon laquelle certains individus sont en mesure d’infliger, grâce à leurs pouvoirs surnaturels, de considérables tourments à ceux qui ne sont pas en mesure de répondre à de telles attaques. Le terme de sorcellerie est communément utilisé pour désigner l’ensemble des effets néfastes (accident, mort, infortunes diverses) qui résultent de l’activité de ces personnes malveillantes dotées de pouvoirs surhumains (Favret-Saada 1991). Bien que les anthropologues soient très prudents lorsqu’il s’agit de comparer des phénomènes appartenant à des cultures différentes, ils admettent généralement, avec plus ou moins de nuances, son caractère universel (Augé 1982). La « faible plasticité » des pratiques et des croyances propres à la sorcellerie entraîne d’ailleurs Bernard Valade à penser que celle-ci renvoie à la « permanence de certaines modalités du fonctionnement de l’esprit humain » (Valade 1990). Ce travail s’attache pour l’essentiel à approfondir cette suggestion.

La démarche proposée ici s’inscrit dans une perspective naturaliste (Sperber 1996). Par ce terme, nous désignons une approche qui vise premièrement à inscrire les sciences sociales au sein de la communauté scientifique dans son ensemble, notamment en utilisant un langage qui permette la comparaison des résultats, et deuxièmement à profiter des résultats élaborés au sein de disciplines diverses pour tenter de résoudre certaines énigmes propres aux sciences sociales 1. Récemment, plusieurs auteurs, inspirés par les travaux pionniers de Sperber, ont tenté de montrer en quoi les sciences cognitives étaient en mesure d’éclairer les phénomènes religieux 2 (Sperber 1974 ; Lawson & McCauley 1990 ; Boyer 1994, 2001 ; Sperber 1996 ; Barrett 2000 ; Andresen 2001 ; Pyysiäinen 2001 ; Atran 2002). Dans les pages qui suivent, nous allons nous inspirer de ces travaux pour montrer en quoi les « penchants » de l’esprit humain tendent à promouvoir la croyance en la sorcellerie 3.

Afin de bien comprendre la problématique de la sorcellerie, nous allons dans un premier temps brièvement présenter la manière dont la sorcellerie a été abordée jusqu’ici au sein des sciences sociales. Nous allons en particulier insister sur le ton fonctionnaliste qui a marqué bon nombre des réflexions au cours du siècle passé. Après avoir exposé les limites de cette perspective quant à une explication des traits récurrents de la sorcellerie, nous présenterons succinctement l’hypothèse « génétique » de Ginzburg. Il sera alors temps de développer une explication de type naturaliste. Nous utiliserons dans un premier temps les travaux sur l’agentivité menés en psychologie du développement et en psychologie évolutionniste. Puis nous nous arrêterons sur les recherches visant à comprendre la manière « naturelle » dont nous abordons les probabilités. Cela nous permettra d’envisager une hypothèse sur la manière dont notre esprit a tendance à réagir lorsqu’une personne est victime de funestes coïncidences.

La sorcellerie : une définition unique ?

Dans la mesure où le but de cet essai est de proposer une hypothèse visant à rendre compte du « succès reproductif » des idées liées à la sorcellerie, il convient tout d’abord de s’assurer que ce terme désigne bien un phénomène relativement uniforme. L’anthropologie et l’histoire sont les disciplines pour lesquelles ce phénomène a représenté le plus d’intérêt. Il nous revient donc de montrer que la sorcellerie résiste à l’épreuve de l’éloignement aussi bien dans l’espace que dans le temps.

L’anthropologue qui a sans doute le plus marqué l’étude de la sorcellerie est Evans-Pritchard. Dans son ouvrage classique consacré à la sorcellerie, aux oracles et à la magie chez les Azandé, il a établi une distinction importante qui n’a pas véritablement d’équivalent en français. Par « sorcery », il désigne la pratique consciente et volontaire d’actes magiques, acquise lors d’un apprentissage, qui visent à nuire par l’utilisation de substances et de formules. Le terme de « witchcraft » renvoie par contre à une capacité innée de nuire, qui peut s’exercer à l’insu du « sorcier » (Evans-Pritchard 1937). L’application trop rigide de cette distinction a fait l’objet d’une mise en garde importante par Turner. Pour ce dernier, en effet, cette dichotomie, explicite chez les Azandé, est loin de se retrouver dans toutes les sociétés. En revanche, Turner reconnaît l’existence, auprès des sociétés constamment soumises à la mort et à la maladie, d’un ensemble de croyances concernant les personnes susceptibles d’attaquer leurs congénères par des moyens « non empiriques » (Turner 1967). Il est important de souligner que ce type de croyance est loin de se limiter à l’Afrique noire. Forge souligne par exemple l’existence de systèmes représentationnels et de pratiques similaires en Nouvelle-Guinée (Forge 1970). Mais c’est sans doute l’étude que Clyde Kluckhohn a consacrée à la sorcellerie chez les Navajo qui apporte le plus d’éléments en faveur d’une répartition quasi universelle des idées propres à la sorcellerie (Kluckhohn 1944). D’une part, Kluckhohn a mis en évidence l’existence de toute une série de techniques et de pratiques surnaturelles qui, selon les Navajo, permettent aux sorciers d’arriver à leurs fins maléfiques. D’autre part, il a relevé que sorciers et sorcières participent à des banquets nocturnes qui, par bien des aspects, ressemblent aux sabbats qui ont si longtemps peuplé l’imaginaire européen. La croyance dans l’existence de ces sociétés de sorciers a aussi été régulièrement relevée en Afrique. De telles réunions nocturnes se caractérisent par une forme d’inversion des normes éthiques : l’activité sexuelle y est exacerbée, généralement sous la forme d’inceste, la nudité est de règle, et de nombreux tabous sont impunément violés – meurtre d’enfants, cannibalisme, etc. (Marwick 1965).

Ce bref survol tend à confirmer la présence, au sein de cultures très éloignées les unes des autres, d’un ensemble de croyances qui attribuent la responsabilité de malheurs inexpliqués aux intentions malfaisantes d’individus munis de pouvoirs surnaturels. Afin de déterminer l’universalité de telles représentations, il convient dès lors de se demander si ces conceptions sont compatibles avec celles qui ont existé en Europe. A première vue, une différence importante distingue les formes que la sorcellerie a prises en Occident. Alors que cette dernière semble « domestiquée » et socialement régulée dans les sociétés traditionnelles, l’histoire européenne a connu, entre le xve et le xviiie siècle, des flambées d’une violence inouïe. L’Eglise envoya aux quatre coins de l’Europe des inquisiteurs qui, en soumettant les suspects à la question, leur faisaient avouer leur adoration pour le diable et leur participation à des banquets sataniques (Cohn 1975). Cette affiliation avec des divinités sataniques, d’une part, et le déluge de violence que les autorités ont abattu sur les « sorciers », d’autre part, pourraient suggérer une spécificité occidentale difficile à ramener aux cas discutés plus haut. Toutefois, il est de plus en plus admis par les historiens que la chasse aux sorcières a en fait résulté de circonstances économiques, politiques et religieuses tout à fait particulières (Cohn 1970 ; Mandrou 1980). Pour Muchembled, par exemple, l’émergence du personnage de la « sorcière » est à inscrire dans un contexte social mouvementé où une redistribution du pouvoir s’est opérée à l’échelle locale. Ainsi les nouveaux notables, dont la richesse introduisait un déséquilibre dans la communauté, se seraient emparés d’une arme idéologique – mise au point par l’Eglise lors de ses luttes contre les hérétiques – afin de montrer leur puissance à une communauté potentiellement envieuse (Muchembled 1979). Néanmoins, la réinscription de ces attributions diaboliques dans un contexte répressif et l’usage stratégique ou intéressé de cette démonologie ne doivent pas masquer l’existence d’un fond de croyances beaucoup plus ancien qui était très largement partagé en Europe, et même sur le continent eurasiatique (Ginzburg 1992). L’enquête ethnographique de Jeanne Favret-Saada menée dans le bocage normand de la fin du xxe siècle a d’ailleurs montré à quel point la croyance dans la sorcellerie, bien que déniée, est encore puissamment ancrée dans les esprits (Favret-Saada 1977). La culture occidentale, par-delà les caractéristiques spécifiques de son histoire, témoigne ainsi de l’universalité de ce phénomène étrange 4.

La sorcellerie : les explications

La constance des représentations propres à la sorcellerie est si frappante qu’elle n’a pas manqué de donner lieu à différentes tentatives explicatives. Avant de montrer en quoi notre hypothèse est susceptible d’éclairer de façon quelque peu originale ce phénomène, il convient de décrire les explications dominantes de la sorcellerie.

Une fois encore, la figure d’Evans-Pritchard est incontournable. Il a en effet mis en évidence un trait fondamental de la sorcellerie : son lien au malheur inexpliqué. Plus spécifiquement, il a montré en quoi la sorcellerie constitue pour les Azandé une philosophie naturelle par laquelle les relations entre les hommes et les événements malheureux sont expliquées. Lorsque leurs connaissances empiriques peinent à rendre justice d’un événement tragique, les Azandé attribuent la raison de leurs infortunes à des agents maléfiques 5 (Evans-Pritchard 1937). Plus spécifiquement, la sorcellerie, en tant que système explicatif, fournit le lien entre deux séries causales indépendantes. Imaginons par exemple qu’un homme succombe après avoir été écrasé par un arbre : l’explication portera sur la coïncidence entre le passage de l’homme à cet endroit précisément au moment où l’arbre s’écroule, frappé par la foudre. Pour Evans-Pritchard, la sorcellerie explique ainsi pourquoi un événement nocif touche une personne particulière à un moment donné. Cette explication ne vise donc pas forcément à relier les faits de manière interne : elle renvoie à une intention extérieure qui leur donne sens (id. ibid.). Un autre trait important mis en évidence par Evans-Pritchard concerne la portée pragmatique de la sorcellerie. L’explication d’un malheur inexpliqué est en effet accompagnée d’une réaction socialement orchestrée : la recherche du responsable s’organise, des oracles sont consultés et, si l’origine maléfique de l’événement est confirmée, une procédure de réparation peut être envisagée. Le discours sorcier a donc l’avantage de fournir une réponse à la nocivité : la colère peut s’exprimer et le désir de vengeance être satisfait (id. ibid.)

La théorie d’Evans-Pritchard comporte aujourd’hui encore de très nombreux éléments pertinents. Ce type d’explication a néanmoins été quelque peu négligé par la suite, le fonctionnalisme constituant la méthode d’étude privilégiée des anthropologues. Dans la perspective fonctionnaliste, les accusations de sorcellerie sont un moyen particulièrement efficace d’exprimer et de révéler des tensions sociales qui ne pourraient s’exprimer autrement (Marwick 1987). Le sorcier peut ainsi être conçu comme un « outsider » : dans ce cas, sa fonction serait de renforcer les liens de solidarité qui unissent les membres du groupe. Mais les accusations de sorcellerie peuvent également porter sur les membres mêmes du groupe. Les fonctions de ce type d’imputation peuvent être multiples : redéfinition des factions en présence, contrôle des déviants, séparation d’une communauté en de plus petites entités, redéfinition de la hiérarchie (Douglas 1970). Considérée sous cet angle, la sorcellerie présente des éléments qui la consacrent comme une instance de contrôle social. Lorsqu’une communauté est soumise à des pressions, aussi bien internes qu’externes, susceptibles de menacer sa cohésion, le dispositif de la sorcellerie constitue un moyen de résoudre ou de déplacer les conflits sur une entité extérieure au groupe (Russell 1987).

Par-delà les critiques d’ordre « téléologique » qui ont été adressées au fonctionnalisme 6, cette approche présente des insuffisances quant à l’explication même du phénomène de la sorcellerie. Tout d’abord, les sociétés qu’elle prend en compte sont unifiées, de relativement petite taille et les individus qui les composent sont insérés dans un entrelacs d’interrelations personnelles. Or la sorcellerie ne disparaît pas forcément lorsque ces relations se distendent et que le système d’échange traditionnel se modifie (Geschiere 2001). De plus, les accusations de sorcellerie n’entraînent pas nécessairement une rééquilibration des rapports sociaux. Enfin, le fonctionnalisme ne rend pas compte de ce qui nous intéresse ici en premier lieu : l’étrange air de famille partagé par des croyances éloignées dans le temps et l’espace. La critique adressée aux fonctionnalistes par Turner mérite d’être relevée dans ce contexte : « L’exposition constante à des maladies hideuses et à des morts subites, ainsi que la nécessité de s’y adapter rapidement ont sûrement contribué à la formation de ces croyances effroyables et irrationnelles. Une fois formées, ces croyances se répercutent dans le processus social, générant autant de tensions qu’elles en reflètent » (Turner 1967).

Si le caractère quasiment universel de bon nombre de croyances propres à la sorcellerie a souvent été reconnu, ceux qui ont tenté de rendre compte de ces homologies sont peu nombreux. En fait, les tentatives les plus sérieuses ont été entreprises par des historiens, qui ont proposé une solution génétique en vue de rendre compte de la similarité de ces croyances. Cohn, nous l’avons vu, a émis l’idée selon laquelle la chasse aux sorcières puiserait son efficacité diabolique dans un rituel immémorial (Cohn 1970). Cette thèse avait déjà plus ou moins été exprimée par Michelet, qui pensait que la sorcellerie du Moyen Age renvoyait en fait à un culte de la fertilité très populaire avant que le christianisme ne s’impose en Europe (Michelet 1966 [1862]). Une hypothèse similaire a été défendue par Margareth Murray qui, inspirée par les travaux de Fraser, pensait que les sabbats n’étaient rien d’autre qu’un culte de la fertilité qu’elle nomma la « religion de Diane » (Murray 1933). Mais, plus récemment, c’est Carlo Ginzburg qui a le mieux défendu ce type d’arguments dans son livre Le Sabbat des sorcières. Très schématiquement, la démarche de Ginzburg a consisté à suivre à la trace, grâce aux documents répartis dans toute l’Europe, les descriptions qui recouvraient partiellement les témoignages recueillis lors des procès de sorcellerie qui eurent lieu dans le Frioul entre le xvie et le xviie siècle. Selon lui, les « aveux » des suspects laissent affleurer une couche profonde de mythes paysans sur lesquels se serait surimposé le thème du complot (Ginzburg 1992). Ses recoupements érudits lui permettent finalement de remonter jusqu’à ce qu’il pense être une unité mythologique souterraine eurasiatique. Les cultes qui caractérisent cette mythologie primitive renverraient à une origine chamanique où auraient été évoqués, pour la première fois, les thèmes du vol des âmes vers le monde des morts, juchées sur des animaux ou d’autres véhicules magiques – notamment des balais (id. ibid.).

L’enquête de Ginzburg, si elle est osée d’un point de vue historiographique, ne manque pas d’intérêt. Son utilité est toutefois restreinte dans le contexte naturaliste de notre questionnement. Tout d’abord, elle porte moins sur la sorcellerie en tant qu’interprétation du malheur injustifié que sur certaines caractéristiques propres au sabbat des sorcières. De plus, bien que l’aire sur laquelle porte l’enquête de Ginzburg soit impressionnante, elle ne permet pas d’expliquer les similarités qui caractérisent les différentes instanciations du phénomène de la sorcellerie à travers le monde. On pourrait, certes, tracer les origines de cette mythologie dans des temps plus anciens et dire, comme Clements, que le cœur de ces croyances ferait en fait partie d’une culture paléolithique généralisée qui, en dernier ressort, constituerait la base ultime de toutes les cultures (Clements 1932). Mais une telle hypothèse est impossible à vérifier et elle n’explique en rien la persistance des croyances en la sorcellerie.

Par conséquent, il est temps de se tourner vers d’autres voies en vue de démontrer cette tendance à recourir à la sorcellerie pour rendre compte du malheur inexpliqué. La démarche que nous proposons consiste à rechercher la source de ce type de croyance dans certaines tendances « naturelles » propres aux esprits qui les entretiennent. Dans un premier temps, nous allons nous attacher à la manière dont nos dispositifs psychologiques interprètent la régularité des phénomènes qui se produisent dans l’environnement quotidien.

Je vous invite à lire la suite sur le site de la revue Terrain, que j'affectionne particulièrement :
http://terrain.revues.org/1670
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